Scène
1
Le
monde est fait pour aboutir à un beau livre.
Mallarmé
Le colosse d’Orient chu, deux cités grecques
vont bientôt étendre leur domination, l’une dans la presqu’île de Pélops,
l’autre à travers les mers jusqu’à l’Ionie et la Thrace : elles sont
Sparte et Athènes. La première est une cité immense de Laconie, bordant l’Eurotas
et assourdie par le Taygète ; au retour des Héraclides, la fraction du peuple
dorien qui la fonde restera notoire pour ses mœurs revêches. Là-bas, Athènes y
sera sitôt tout autre : tournée vers le Levant, radieuse et déjà reine
des mers, au commerce florissant, à l’art le plus fin des Ictinos et des
Phidias, à la grandeur d’Euripide et de Sophocle, elle nous lègue la splendeur
de la culture d’un vrai siècle d’or.
Mais quand trop grandies la paix leur devient
funeste... Athènes ne fut parfaite que de littérature et d’art, son arrogance creusera
son tombeau.
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Scène
2
Dans le terreau de la ligue de Délos, Athènes
fleurit au milieu d’une atmosphère dont les relents de crainte et de jalousie,
fermentant malgré la trêve, l’entraîne en 431 contre Sparte et Corinthe. Après
la mort de Périclès et contre le démocrate Créon, Nicias arrange une paix
opportune en 421 ; elle est de courte durée. Six ans plus tard
l’expédition de Sicile sera une catastrophe pour les athéniens, qui bientôt se
voient dominés par quatre cents volontés et par les spartiates en Attique. Quelques
ultimes victoires et l’Athènes en deuil de Sophocle et d’Euripide est défaite
(404), condamnant l’éraste de la girouette Alcibiade cinq ans plus tard. Si la
pesante dyarchie terrestre et alliée à la Perse a là vaincu la démocratie
maritime, l’avantage sera de courte durée.
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Scène 3
Une ville, jusqu’à présent de second plan, va,
dès le début du IVème siècle, entrer en scène d’histoire. Fondée par Cadmos, le
frère d’Europe, et patrie d’Œdipe, nous la connaissons sous le nom de Thèbes en
Béotie. Par deux fois victorieuse, à Leuctres (371) puis à Mantinée (362), elle
aura flanqué à terre l’orgueil et la puissance de Sparte, mais la mort
d’Epaminondas, auteur de ces succès, ne lui laissera pas profiter de la
dernière, tandis qu’au nord de ce théâtre grandit une force dès l’accession au
trône de Philippe II, la Macédoine.
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Scène
4
Ce roi, façonné à la culture grecque, élargit l’horizon
de son domaine grâce à l’or et cette longue lance nommée la sarisse. Menaçant
tantôt l’Athènes de Démosthène qui alliée à Thèbes ne saura éviter la défaite
de Chéronée en 338, il meurt deux ans plus tard, laissant dans le cœur de son
fils le rêve de franchir l’Hellespont avec la jeunesse face à de fragiles
conquêtes mais à la tête d’une vaillante armée.
Dix ans plus tard, Alexandre épousera et
laissera un rêve bien plus grand dans les eaux de l’Hyphase, dans la vallée de
l’Indus, aux limites de ce monde désormais connu des Grecs. De l’Olympe en
Himalaya il retourne vers Babylone, où l’étoile s’éteint presque aussitôt.
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Scène
5
Graecia capta ferum victorem cepit,
et artes intulit agresti Latio.
La
Grèce captive soumit son vainqueur
et
porta les arts au sauvage Latium.
Horace
Si à la mort d’Alexandre le partage entre ses
diadoques prévoit l’échouage des conquêtes, la Grèce conserve encore assez de
force pour que la beauté seule ne la tienne à flot. Intellectuellement surtout,
les stoïques vont longtemps poursuivre l’insondable brèche ouverte par la
pensée d’Aristote, et léguer au futur envahisseur, dont l’ombre de l’empire se
projette déjà d’Illyrie à l’Olympe, d’immenses pans de sa culture au point de
se demander quel aura, bien compté, été le vainqueur. En 146, Rome vainc
définitivement la Grèce et l’annexe à son empire après l’avoir libérée du joug
macédonien : au loup elle eût préféré l’alliance du tigre.
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Scène 6
Bientôt, Rome éploie l’aile de sa prépotence sur
les nids de l’hellénisme : Alexandrie, Pergame et Damas se fanent sous son
ombre. Ces fleurs, et Athènes la première, ne peuvent rien sinon diffuser leur
essence à tout l’Empire. Exsangue et dépeuplée, la Grèce lentement se meurt mais
apprend que la grandeur, fût-elle passée, est immortelle : le Latium des
armes n’a pu rien faire face à la splendeur des lettres, dont le fleuve depuis
longtemps déjà, bien avant la conquête, avait infiltré les murs de Rome, et ces
derniers mots de César furent de cet idiome qui, à l’agonie, ne peut celer
qu’il vient du cœur...
A ceci près que jalousie ni mépris ne peuvent démordre :
le Crassus de Cicéron qualifie les Grecs de loquaces et d’oisifs, dont la
légèreté des mœurs tranche la virtus
latine ; la culture gréco-latine de ce constat est naissante, mais au loin
l’un de l’autre, les deux mondes cachent comme un jeu que celle-ci a été
grecque dès les Etrusques, et que celle-là lui doit son image plénière.
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