Acte III



Scène 1

Si Constantin au IVe siècle secoue le plumeau de la poussière barbare, par la suite plus coriace, encore une fois la grandeur qui dessine le monde est celle de l’esprit : un peu plus tard Théodose interdit le paganisme, dernière senteur du monde hellénique, qui change de parure pour la nouvelle Rome capitale des empereurs jusqu’au quatre-vingtième d’entre eux, Constantin XI, mort avec son Empire en 1453 tandis que durant ce millénaire d’autres barbares demeureront aux portes du monde civil. Au VIe siècle Justinien et son général Bélisaire veulent restaurer l’extension de l’antique Empire de Rome, et parviendront à faire resplendir le lustre d’une ère — Sainte-Sophie en est le symbole — tiraillée entre Perses et Ostrogoths. La Grèce, déjà devenue le parangon de l’Empire sous l’impulsion, un siècle avant, de l’impératrice Eudoxie, verra bientôt disparaître les ultimes reliefs de son antiquité : les jeux olympiques en 395, l’académie de Platon en 529. Mais tout autre chose devient.


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Scène 2

Depuis Constantin, le règne terrestre du monarque — appelé Basileus — de l’Empire sera appelé à devenir la pâle copie d’une estampe divine, sans d’abord la grever au sang de quelque dynastie bien réglée. Bien vite, au cours des premiers siècles (IVe – VIIe), l’érosion, invisible encore, du principe électif de la monarchie laisse naître la désignation du successeur, avant qu’à côté ne se glisse l’héritage, dont le sang toutefois, jusqu’à la chute, n’aura jamais régné seul face au logos. Mais l’hybris du pouvoir telle que la concevait les anciens n’a pas été oblitérée de la mémoire des empereurs : couchés sous le droit divin, se décoiffant devant Dieu, une volonté peut amener à leur déchéance ; ce n’est qu’embryonnaire que le pouvoir s’affirme, et bientôt l’Eglise sera soumise à l’Etat (IXe s.). Deux siècles plus tôt les provinces, au Moyen-Orient de l’empereur Héraclius vainqueur des Perses, seront sitôt reconquises par une force nouvelle, les Arabes et l’Islam frais éclos, griffe d’un monde nouveau : l’Antiquité se meurt et à son seuil se presse, encore une fois, tout l’Orient.


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 Scène 3

Au-delà des conflits externes à l’Empire les querelles en matière religieuse se sèment le long du temps, en particulier celle des Images au cours de la dynastie des isauriens (VIIIe et IXe s.). Ce désordre interne aussi facilite la tâche aux envahisseurs arabes, qui conquièrent la Crète et la Sicile, alors qu’au nord les Bulgares font des ingressions jusqu’à leur défaite aux Thermopyles. Nous voici alors, au Xe siècle, à l’apogée d’un Empire qui bientôt s’inclinera vers le grand schisme cependant que s’entassent à ses portes de nouveaux ennemis, les Turcs Seldjoukides, convertis à l’Islam alors qu’un prince de Kiev devint orthodoxe.


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Scène 4


Après que les Musulmans en 846 ont pillé Rome, l’Occident commence à parler d’une théologie de l’action armée. Cent cinquante ans plus tard a lieu la première croisade, alors que les Comnènes, dynastie d’empereurs byzantins, avaient déjà recherché l’alliance de Venise contre les barbares. Leur empire, très puissant mais déjà sur l’autre versant, sera pourtant par eux trahi, lors de la quatrième croisade, première dérive d’intérêt d’un riche doge — et sans doute de croisés francs — qui conquit Constantinople en 1204 puis la petite Grèce et les îles de l’Égée, ébranlant des fondations alternativement sapées et solidifiées par ces prodigues ou robustes empereurs et impératrices, dont l’accastillage de toute la ville sera finalement pris par les Turcs au XVe siècle. Mais en silence, au-dessus du bonheur des rois et de la ruse des diplomates aveugles au génie de l’espace, Anne Comnène écrit l’Alexiade.


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Scène 5

1204 marque le bref déclin d’un empire menacé de toutes parts. La conquête des latins leur apporta le souci de défendre les terres, et quand en 1261 ils s’en vont le destin de l’empire ne sera que de finir « comme le Rhin, qui n’est plus qu’un ruisseau quand il se perd dans l’océan », pour reprendre la gracieuse image montesquienne.
A la veille de sa mort pourtant il eut un de ces derniers souffles d’agonisant, un estuaire irrigué par ce renouveau instillé par l’étonnant XIIe siècle : alors que le territoire grec, pour lequel les anciens avaient vu l’ingenium soli, reste divisé entre Vénitiens, Génois et Hospitaliers, l’on y voit l’éclat renaissant des lettres antiques. Et dans le terreau putréfié de la dernière Rome, vers le couchant fleurit une ère de renouveau. C’est la Renaissance, là-bas encore.

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