En images : le Magne



Le capitan-pacha étant en guerre avec les Maniottes, je ne pouvais me rendre à Sparte par Calamate, que l’on prendra si l’on veut pour Calathion, Cardamyle ou Thalames, sur la côte de la Laconie, presque en face de Coron.
Chateaubriand, 1811



Si en 1806 Chateaubriand n’a pu traverser le Magne pour se rendre à Sparte, aujourd’hui la péninsule, alors « inculte, sauvage, inexplorée des voyageurs, redoutée des Grecs eux-mêmes » se réconcilie quelque peu avec l’homme.


Souli, Sfakia, le Magne, tels sont les trois foyers où, pendant quatre siècles à peu près, couva sous les cendres de la barbarie l’étincelle de vie qui devait plus tard ressusciter un peuple. L’histoire des guerriers de Souli et Sfakia est aujourd’hui connue ; mais que sait-on du Magne ?
E. Yemeniz, 1865




Le Magne forme l’extrémité la plus méridionale de l’ancienne Eleuthéro-Laconie. Il s’étend au pied de l’imposant et sombre massif du mont Taygète ou Pentedactylon, dénomination sous laquelle les Grecs désignent cette grandiose montagne à cause de ses cinq sommets, escarpements gigantesques dont le plus élevé, le mont Hélias, inaccessible et presque toujours couvert de neiges, est l’objet d’une terreur superstitieuse et de mille croyances légendaires. Borné à l’ouest par le golfe de Coron ou de Messénie, à l’est par celui de Kolokythia ou de Laconie, au nord par la Messénie, le Taygète et la splendide vallée de Lacédémone, le Magne a une étendue de quinze à vingt lieues du nord au sud, sur une largeur de six à huit lieues à sa base. À mesure qu’il s’avance vers la mer, il se rétrécit sensiblement et finit par se plonger dans les flots sous la forme d’une flèche acérée, dont la pointe extrême s’appelle le cap Matapan (ancien Ténare). Les pilotes ont surnommé ce cap « le tueur d’hommes » à cause des fréquents naufrages que causent les tempêtes sur les écueils de cette côte.
E. Yemeniz, 1865


Les côtes du Magne, rongées, découpées, fouillées profondément par les flots, trop fameuses dans les annales de la piraterie, offrent un aspect terrible et désolé. Des rochers à pic, complètement arides, torréfiés par un soleil brûlant, semblent interdire aux navigateurs l’abord de ce dangereux pays ; les anfractuosités du roc recèlent çà et là de petits villages, nids d’aigles suspendus sur les précipices, hérissés de forteresses anciennes, les unes démantelées, les autres encore entièrement debout.
E. Yemeniz, 1865

Batheia, sur la face occidentale, au-dessus du cap Ténare


Un usage immémorial et conforme à certaines lois militaires des anciens Spartiates interdisait aux Maïnotes de poursuivre l’ennemi après l’avoir vaincu : sage prescription qui convenait à une peuplade trop peu nombreuse pour prendre jamais l’offensive, et qui a toujours préservé les défenseurs du Magne des embuscades où les Turcs cherchèrent maintes fois à les faire tomber en les provoquant à sortir de leurs impénétrables retraites.
Ibidem, 1865

Oitylo (Vitulo) vue de Limeni, au fond à gauche.

 Vitulo, l’une des plus anciennes villes du Magne, possède une population d’environ deux mille âmes, plusieurs monastères et un évêché dont l’établissement remonte aux premiers temps du christianisme. Elle est construite, à une lieue de la mer, sur un rocher menaçant que dominent cinq grosses tours, et dont l’abord est en outre protégé par l’acropole fortifiée de Kélapha, située à deux ou trois cents mètres en avant. Vitulo fut longtemps un repaire de pirates. Un dicton populaire, qui trouvait encore son application il y a quelque vingt ans, prétend que, lorsque les hommes de Vitulo sont restés huit jours sans faire en mer quelque capture, toute la population prend le deuil, se croit abandonnée de Dieu, et adresse au ciel des prières comme pour une calamité publique. À Vitulo commence le pays nommé Kakovouni, sombre domaine de la puissante famille Mavromichalis. Cette contrée est restée en proie aux discordes intestines, aux éternelles guerres de village à village et de tribu à tribu. Le poignard, le mousquet, le poison, la vendetta, sous ses formes les plus terribles et dans toute son implacable rigueur, remplissent l’histoire locale de cette province.
Ibidem, 1865





En sa qualité de bey, Pierre Mavromichalis prélevait certains droits sur les navires et les marchandises qui entraient dans les ports du Magne, ou qui en sortaient, ainsi que sur les transactions commerciales peu nombreuses des Maïnotes. Un capitaine du nom de Tsouklas, possesseur du château de Vathya, étant informé qu’un convoi d’argent allait traverser sa capitainerie pour se rendre de Gythium à Vitulo, se crut en droit de prélever, lui aussi, une dîme sur le trésor qu’on faisait passer par ses domaines. Il s’embusque dans un défilé, arrête le convoi et s’empare d’une partie de la somme. Pétro-Bey n’était pas homme à laisser cette injure impunie ; il accourut avec une nombreuse troupe et une pièce de canon, et mit le siège devant le château de Vathya. Tsouklas se défendit en désespéré pendant douze jours. Au bout de ce temps, le canon fit une brèche par laquelle les assaillans pénétrèrent dans la place ; mais ils furent arrêtés par une seconde muraille que Tsouklas avait construite pour prolonger sa défense. Il fallut faire sauter encore cet obstacle, derrière lequel les vainqueurs ne trouvèrent que des cadavres. Tous les assiégés qu’avaient épargnés les balles ennemies s’étaient laissés mourir de faim et de soif plutôt que de se rendre. Tsouklas seul, encore vivant, s’échappa au dernier moment, en descendant au moyen d’une corde au fond d’un précipice béant derrière son pyrgos. Pétro-Bey fit raser le château de fond en comble.
Ibidem, 1865

Batheia



Voilà que ce même Pétro-Bey fut celui qui, le 17 mars 1821, engagea la Grèce dans sa guerre d’indépendance contre l’Ottoman défait deux jours plus tard, à Kalamata. Etincelle avivée puis portée ensuite par Kolokotronis à la bataille de Dervenaki, la ville devient par la suite la métonymie des sept années qui aboutissent à la courte présidence de Kapodistrias, sitôt assassiné. Les « puissances protectrices » décident alors de faire de la Grèce une monarchie bavaroise ; le pays sera en banqueroute, et les reliefs des paroles de Démarate à Xerxès — « sache que la pauvreté est toujours l’amie fidèle de la Grèce ; la vertu s’y joint, la vertu, fille de la sagesse et des lois stables. Grâce à la pratique de la vertu, la Grèce se défend contre la pauvreté et contre la tyrannie. » (Hérodote, Histoires, Polymnie, 102) — ou de Solon à Crésus :

Celui qui est opulent, mais malheureux, l’emporte sur l’homme heureux seulement en deux points ; le second a sur lui une multitude d’avantages. Le premier a plus de moyens de satisfaire ses désirs et de supporter un grand désastre qui viendrait à le frapper ; mais voici comment le second le surpasse : si d’une part il ne peut satisfaire des désirs ni supporter des désastres, d’autre part, et c’est là son bonheur, il en est exempt. » (Ibidem, Clio, 32).